Salut
Extraits du BEA dont j'ai souligné en gras certains éléments pour une meilleure compéhension et vous éviter de lire un rapport technique et long
2.1.3.3 Réactions de léquipage à l'alarme de décrochage
Quatre secondes avant lactivation de l'alarme STALL 2, les barres du directeur de vol ont été à nouveau présentées sur les PFD. Le mode vertical engagé était le mode V/S avec une valeur consigne de +1 400 ft/min. Les modes affichés au FMA nont jamais été annoncés par léquipage. La barre horizontale indiquait alors un ordre légèrement à cabrer par rapport à la maquette avion. Le PF a exercé une action à cabrer qui a provoqué l'augmentation de lincidence et lactivation de l'alarme de décrochage. Au moment de lactivation de l'alarme STALL 2, à 2 h 10 min 51, lassiette de l'avion était de 7 degrés, en augmentation. Quelques secondes plus tard, le buffet a débuté.
Léquipage na jamais fait référence ni à l'alarme de décrochage ni au buffet, qu'il a vraisemblablement perçus. On peut ainsi se demander si les deux copilotes ont eu conscience de l'entrée de l'avion dans une situation de décrochage. En effet, la situation de charge de travail élevée et de sollicitations visuelles multiples. correspond aux limites de prise en compte d'une alarme sonore inhabituelle. Dans un environnement sonore déjà saturé par l'alarme C-chord, l'absence didentification de l'alarme de décrochage par léquipage ne peut donc pas être exclue.
2.1.3.3.1 Réactions du PF
Même si lacceptation ou non d'un diagnostic de décrochage par le PF n'est jamais verbalisée, certaines de ses actions peuvent correspondre à celles attendues à l'approche du décrochage : la mise des manettes de poussée sur TOGA ou le souci de maintenir les ailes à l'horizontale. En revanche, en l'absence d'informations de vitesse reconnues fiables, il est possible que le PF ait identifié une situation de survitesse, notamment par linterprétation de plusieurs indices :
..le bruit aérodynamique ;
..le buffet, pouvant être associé dans son esprit à de la haute vitesse ;
..la flèche de tendance de vitesse sur le PFD, indiquant une accélération au moment de lactivation de l'alarme de décrochage.
Des actions du PF peuvent d'ailleurs être des indices de la perception d'un risque ou d'un diagnostic de survitesse. D'une part, il a réduit la poussée dans les secondes qui précèdent lactivation de l'alarme STALL 2 et la survenue du buffet. Dautre part, 51 secondes après lactivation de cette alarme, il a dit j'ai l'impression qu'on a de la vitesse , puis a ramené les manettes de poussée sur IDLE. Il a reformulé cette impression quelques secondes plus tard, associée à une tentative de sortie des aérofreins.
D'autres facteurs ont par ailleurs pu conduire le PF à craindre une situation de survitesse :
..la mention présentée sur lECAM (max speed 330/.82) associée au passage en loi alternate qui a pu être lue ;
..le fait quen croisière, le band'eau rouge supérieur du band'eau de vitesse (MMO) se situe une dizaine de nuds au dessus de la vitesse courante alors que VLS est à peine visible en bas du band'eau (inférieure d'une trent'aine de nuds) ;
..le danger que représente dans la conscience collective des pilotes une situation de survitesse.
Néanmoins, le PF a été confronté à l'alarme de décrochage qui rentrait en conflit avec son impression de survitesse. Les activations furtives de l'alarme après la déconnexion du pilote automatique ont pu amener léquipage à douter de sa crédibilité. De plus, la présence du directeur de vol conduisant à afficher une assiette à cabrer a pu conforter le PF dans l'idée que l'alarme de décrochage n'était pas pertinente. Lors des événements antérieurs étudiés, les équipages ont fréquemment fait part de leurs doutes sur la pertinence de l'alarme (voir le paragraphe 1.16.8.4).
L'application de la poussée maximale a probablement été la conséquence de la perception de l'alarme de décrochage. Cependant, le PF a pu assimiler lactivation de l'alarme à une conséquence de la réduction de poussée qu'il avait appliquée quatre secondes plus tôt ; il aurait alors appliqué la pleine poussée pour revenir à la situation antérieure.
Quelques secondes plus tard, le PF a verbalisé je suis en TOGA, hein ? . Soit il a douté d'avoir placé les commandes de poussée dans le cran TOGA comme il en avait lintention, soit il na pas compris pourquoi cette action était inefficace pour arrêter l'alarme de décrochage. Ce second cas indiquerait alors que le PF a eu une représentation erronée du modèle de vol de l'avion, espérant une efficacité de la poussée TOGA à haute altitude et une assiette de douze degrés, similaire à celle délivrée dans les basses couches. Le résultat infructueux de ses actions a peut-être renforcé sa méfiance vis-à -vis de l'alarme.
Enfin, bien que le PNF ait verbalisé le passage en loi alternate lors de la lecture de lECAM et bien que des indices de perte de protection devaient être présentés sur le PFD (SPD LIM et croix ambres en roulis et tangage), il est possible que le PF n'ait pas pris pleinement conscience de cette reconfiguration et de ce quelle impliquait. Il a pu ainsi rester sur le schéma habituel que l'avion ne pouvait pas décrocher et dans lequel une alarme STALL était incohérente.
Les oscillations d'assiette dans les secondes qui suivent lactivation de l'alarme de décrochage montrent que le pilotage de l'avion était manifestement délicat et a probablement monopolisé lattention du PF. Dans cette phase, la maquette avion sur le PFD était proche de la barre horizontale du directeur de vol, en moyenne légèrement supérieure.
Le PF a probablement cherché à suivre l'évolution de cette barre, sans avoir intégré le changement du mode longitudinal engagé. En effet, la charge émotionnelle combinée à la charge de travail ont contribué à ce que le PF fasse confiance au directeur de vol indépendamment de tout autre paramètre : les barres de tendance du directeur de vol ont pu représenter pour lui un moyen de maintenir le niveau de croisière.
Par ailleurs, les indications du directeur de vol ont pu lamener à afficher une assiette positive, proche de 12,5°. Cette valeur est inscrite dans la procédure alarme STALL pour la phase de décollage. Même sil ne l'annonce pas, cette valeur mémorisée a pu revenir à lesprit du PF qui s'est accroché à cette référence, sans se souvenir quelle n'était pas adaptée à cette phase de vol. La conjonction de cette valeur mémorisée avec les ordres du directeur de vol aurait alors constitué l'un des rares points de cohérence (pour ne pas dire le seul) dans lincompréhension générale de la situation.
Linfluence du directeur de vol semble donc probable. Le PF a pu être tenté de le suivre sans valider les informations présentées. La concurrence des informations du FD avec l'alarme STALL a pu perturber la crédibilité des actions à apporter en réponse à l'alarme.
Note : la procédure vol avec IAS douteuse prévoit de désactiver les FD, pour éviter la présentation dordres potentiellement non pertinents.
Les ordres du directeur de vol, le doute sur la pertinence de l'alarme sonore de décrochage et lidentification d'une possible situation de survitesse nont pas permis au PF de poser le bon diagnostic. Il a alors combiné des actions antagonistes pour répondre à la fois à une situation de survitesse (réduction de poussée, actions à cabrer) et à une situation de décrochage (application de la poussée maximale).
2.1.3.3.2 Actions du PNF
Lorsque l'alarme STALL 2 et le buffet sont apparus, le PNF était confronté à une incompréhension grandissante de la situation.
Le PNF était avant tout dans une stratégie d'appel du CDB à laquelle il consacrait une grande partie de ses ressources. Comme il attendait anxieusement le retour de ce dernier, il est possible qu'un phénomène de sélectivité attentionnelle ait réduit sa capacité de perception de l'alarme STALL.
Sil avait toutefois perçu une situation d'approche du décrochage et compte tenu des corrections de trajectoire demandées dans la séquence précédente, il serait étonnant que le PNF ait eu comme premier souci de garder les ailes horizontales puis de vérifier la poussée des moteurs. Il a donc pu, lui aussi, douter de la fiabilité de l'alarme.
Quoi qu'il en soit, lattention du PNF a été détournée du paramètre essentiel, à savoir la valeur, inadaptée à cette altitude, de lassiette de l'avion.
Vers 2 h 11 min 38, après que le PF a dit j'ai plus du tout le contrôle de l'avion , le PNF annonce commandes à gauche , a pris la priorité et fait deux actions en butée en latéral à gauche. Lavion était alors en roulis à droite. Le PF a immédiatement repris la priorité et maintenu son mini-manche en butée à gauche. Cette reprise de priorité du PF na pas pu être expliquée mais témoigne de la déstructuration du travail en équipage.
2.1.3.4 Retour du commandant de bord
Le commandant de bord a certainement perçu les vibrations liées au buffet ainsi que lassiette denviron 15 degrés, et entendu l'alarme de décrochage alors qu'il sapprochait du poste de pilotage. Pourtant, à son retour, il n'y a fait aucune référence. Lalarme de décrochage est devenue intermittente, entrecoupée par l'alarme C-chord. Ces deux alarmes, cumulées au bruit ambiant et aux paroles de ses collègues, ont constitué un environnement sonore saturé et peu compréhensible pour le commandant de bord, d'autant plus qu'une partie de son attention s'est certainement portée vers la lecture et lanalyse des instruments.
Les deux copilotes l'ont informé qu'ils avaient perdu le contrôle. Le PNF a précisé qu'il ne compren'ait pas la situation et qu'ils avaient tout tenté . Lincompréhension générale rendait difficile une description plus précise de la situation. Lorsque le
commandant de bord a regagné le poste de pilotage, l'avion était en descente rapide mais à une altitude proche du niveau de croisière auquel se trouvait l'avion à son départ. Dans ces conditions, n'ayant pas vécu lhistorique complet de la séquence des événements, il était très difficile au commandant de bord détablir un diagnostic. Il lui aurait alors fallu questionner les copilotes, démarche qui se heurt'ait à lurgence et au stress transmis par le ton de la voix du PNF.
Par la suite, ses interventions ont montré que lui non plus na pas identifié le décrochage : les multiples activations et arrêts de l'alarme de décrochage ont certainement contribué à rendre encore plus confuse son analyse de la situation. Il semble alors sêtre basé uniquement sur les paramètres d'assiette et de poussée pour analyser la trajectoire.
2.3 Ergonomie
2.3.1 ECAM
A 2 h 10 min 05, dès quintervient lobstruction des sondes Pitot par des cristaux de glace, différents mécanismes de surveillances se déclenchent presque instantanément.
Ainsi, les FMGEC détectent des écarts entres les différentes vitesses mesurées et les calculateurs de commande de vol (FCPC / PRIM) identifient quant à eux une chute brutale de plusieurs vitesses mesurées, entraînant la reconfiguration en loi alternate. Cette surveillance propre aux FCPC a été prévue pour détecter lobstruction de plusieurs sondes Pitot.
Léquipage est uniquement informé des conséquences du déclenchement de ces surveillances : déconnexion du PA et de lA/THR, passage en loi alternate, etc. Aucun message de panne ne conduit à identifier l'origine de ces autres pannes, le rejet des ADR et des mesures de vitesse en particulier.
Léquipage reprend donc les commandes d'un avion dont certains systèmes ont identifié des incohérences de vitesses mesurées sans quaucun message ECAM ne permette un diagnostic rapide et l'entrée vers la procédure adéquate. Pourtant, la formation et lentraînement des équipages prévoient que la lecture de lECAM soit réalisée dès que la trajectoire est contrôlée car elle doit faciliter lanalyse de la situation et permettre dorganiser le traitement des pannes.
De la déconnexion du pilote automatique à lactivation de l'alarme STALL 2, de nombreux messages se sont affichés à lECAM. Aucun de ces messages na aidé léquipage à identifier le problème lié à lanomalie de vitesse. Par ailleurs, la gestion des priorités des différents messages a provoqué des changements d'affichage rapides et ainsi rendu encore plus compliquée lanalyse et la compréhension de la situation.
La lecture de lECAM par le PNF, et peut-être aussi par le PF, a nécessité du temps et consommé des ressources mentales au détriment du traitement du problème et de la surveillance de la trajectoire.
2.2.4 Simulateurs de vol
D'un point de vue de formation pratique relatif à la notion de décrochage, les seules fenêtres dapprentissage du décrochage pour les deux copilotes l'ont été dans leur formation initiale puis au cours d'une ou deux séances de simulateur lors de la QT initiale A320. Ces exercices sont réalisés à basse altitude (FL100) de manière démonstrative et analytique afin de mettre en évidence notamment le fonctionnement des protections de l'avion en loi normale. En loi alternate, lexercice d'approche du décrochage permet au stagiaire dentendre l'alarme de décrochage dans une situation où elle est attendue et les actions correctives à réaliser préparées. Lexercice permet de constater lapparition des vibrations dues au buffet qui confirme le phénomène.
A haute altitude, la marge entre lincidence de vol normal et lincidence dactivation de l'alarme de décrochage est faible. Le stagiaire, qui effectue lexercice à basse altitude et en observant une réduction de vitesse par rapport à des repères, na ainsi pas lopportunité d'être sensibilisé à la proximité du seuil dincidence dactivation de l'alarme.
Le caractère démonstratif des exercices effectués ne permet pas à léquipage dappréhender l'effet de surprise généré par l'alarme de décrochage ni, le cas échéant, les actions réflexes sur les commandes qui peuvent être engendrées.
Les conditions dentraînement actuelles ne permettent pas de pallier à la fois une pratique au vol manuel inexistante en haute altitude et le manque dexpérience sur avions conventionnels. En outre, elles limitent la capacité des pilotes à acquérir ou maintenir des compétences de base de pilotage (basic airmanship).
De manière plus générale, les entraînements réalisés au simulateur suivent un scénario préétabli, et même si des variations existent d'une séance à l'autre, les stagiaires ont globalement connaissance des pannes auxquelles ils seront confrontés. De ce point de vue, les scénarios dentraînement peuvent rester assez éloignés de la réalité d'une panne en exploitation. Leffet de surprise associé à cette réalité opérationnelle est déstabilisant et générateur de stress. Il peut affecter directement la bonne réalisation d'une manuvre ou la capacité de diagnostic puis de récupération d'un équipage. Pourtant, les conditions dentraînement ne permettent pas de déclencher ces facteurs environnementaux, et donc la restitution de compétences non techniques nécessaires à la bonne gestion d'une situation inattendue.
Léquipage du vol AF 447 na pas associé la disparition des informations de vitesse et les diverses alarmes et messages ECAM associés à la procédure Vol avec IAS douteuse . Les pertes d'informations de vitesse peuvent survenir pour des raisons techniques diverses, dans des phases de vol présentant des niveaux de risque différents. Ainsi, il est complexe de restituer lintégralité des modes de panne conduisant à cette situation au simulateur.
Par ailleurs, cette variabilité des modes de panne se traduit par des effets très différents dans le cockpit. En effet, la perte des informations de vitesse peut se traduire par lactivation d'un grand nombre dalarmes et de messages ECAM, mais également (comme lors de lentraînement au simulateur de léquipage) par une simple incohérence de paramètres, sans aucune alarme.
Les équipages ont effectué lentraînement selon un scenario connu sans avoir eu la possibilité de prendre conscience des conséquences de l'effet de surprise sur leur comportement individuel, ni sur les risques d'une éventuelle déstructuration du travail en équipage.
Ainsi la difficulté, voire limpossibilité, de restitution au simulateur à la fois de la complexité et la variabilité des signaux de panne, conjuguée au manque deffet de surprise lié à un scénario connu nont pas permis d'adapter lentraînement à la situation effectivement rencontrée.
Ainsi, laccident résulte de la succession des événements suivants :
..lincohérence temporaire entre les vitesses mesurées, vraisemblablement à la suite de lobstruction des sondes Pitot par des cristaux de glace ayant entraîné notamment la déconnexion du pilote automatique et le passage en loi alternate ;
..les actions inappropriées sur les commandes déstabilisant la trajectoire ;
..l'absence de lien, de la part de léquipage, entre la perte des vitesses annoncée et la procédure adaptée ;
..lidentification tardive par le PNF de l'écart de trajectoire et la correction insuffisante par le PF ;
..la non-identification par léquipage de l'approche du décrochage, l'absence de réaction immédiate et la sortie du domaine de vol ;
..l'absence de diagnostic de la part de léquipage de la situation de décrochage et en conséquence l'absence dactions permettant de la récupérer.
Ces événements peuvent trouver leurs explications dans la combin'aison des facteurs suivants :
..les mécanismes de retour dexpérience de l'ensemble des acteurs qui nont pas permis :
de détecter la non-application récurrente de la procédure relative aux pertes d'informations de vitesses et dy remédier,
de s'assurer que le modèle de risque des équipages en croisière compren'ait le givrage des sondes Pitot et ses conséquences ;
..l'absence dentraînement, à haute altitude, au pilotage manuel et à la procédure vol avec IAS douteuse ;
..un travail en équipage affaibli par :
lincompréhension de la situation à la déconnexion du PA,
une mauvaise gestion de l'effet de surprise qui a engendré une charge émotionnelle élevée pour les deux copilotes ;
..l'absence dindication claire dans le poste de pilotage de lincohérence des vitesses identifiée par les calculateurs ;
..la non-prise en compte de l'alarme de décrochage par léquipage pouvant être la conséquence :
de l'absence didentification de l'alarme sonore, en conséquence de la faible exposition en formation au phénomène de décrochage, à l'alarme STALL et au buffet,
de lapparition au début de lévénement dalarmes furtives pouvant être considérées comme non pertinentes,
de l'absence d'information visuelle permettant de confirmer l'approche du décrochage après la perte des vitesses caractéristiques,
de la confusion possible avec une situation de survitesse dont le buffet est également considéré comme un s'ymptôme,
des indications des directeurs de vol pouvant conforter léquipage dans ses actions, bien quinappropriées,
de la difficulté à reconnaître et comprendre les implications d'une reconfiguration en loi alternate sans aucune protection en incidence.
En conséquence, le BEA recommande :
€€que lAESA revoie le contenu des programmes dentraînement et de contrôle et y impose notamment la mise en place dexercices spécifiques et réguliers dédiés au pilotage manuel, à l'approche et à la récupération du décrochage, y compris à haute altitude.
Bonne lecture et bons vols